Discours prononcé par Jean de Saint Pol pour ses noces d'or avec Anne Challemel de la Rivière, le 1er septembre 1953

Mes chers enfants, mes chers petits-enfants

Je tiens tout d'abord à remercier en notre nom à tous notre cher Etienne qui a bien voulu, malgré de multiples occupations, nous apporter le témoignage de son affection dans cette réunion, et prononcer ce matin à la chapelle des paroles que je vous demande à tous de conserver toujours gravées dans vos coeurs.

Dans cette belle réunion de famille, nous vous remercions votre mère et moi, des souhaits si généreux, si ardents et si sincères que vous formez pour nous en ce cinquantième anniversaire de notre mariage.

1903-1953. Cinquante années, comme c'est long !

Eh bien non, ce n'est pas si long. Pour moi, ces cinquante années m'ont paru passer plus rapidement que les 24 années d'enfance et de jeunesse qui les ont précédées. C'est que le temps passe vite, vous le constaterez bien davantage dans l'avenir. La vie c'est comme une pierre que l'on laisse rouler du haut d'une pente : elle part doucement, bientôt sa vitesse s'accélère de plus en plus, et par bonds de plus en plus rapide la pierre arrive au fonds du ravin comme un bolide. C'est ainsi qu'un beau jour on s'aperçoit avec étonnement qu'on est un vieillard ni plus ni moins, avec comme perspective tout un cortège de privations, de misères et peut-être de déchéances...

Oh certes, un vieillard jouit de certaines prérogatives : des égards de la part de gens bien élevés, un salut plus respectueux, une place d'honneur à la table familiale, le droit de donner aux jeunes (quand ils veulent bien les écouter) de sages conseils fruits de l'expérience, mais si je regarde vers l'avenir il est bien vrai que nous voici tous deux près du terme de notre vie et la sagesse nous commande de remettre notre sort entre les mains de la Providence, puisque l'avenir lui appartient, et de nous soumettre d'avance à sa volonté.

Mais si je me retourne vers le passé, que de souvenirs, que d'images restées gravées dans ma mémoire et dans mon âme !

Souvenirs heureux, joyeux même parfois, d'autres hélas pleins de tristesse. En rappellerai-je quelques uns parmi les plus marquants ? Trois générations ont précédé la notre dans ce cher Amoy et trois autres y vivent actuellement.

Par une coïncidence providentielle nous fêtons aujourd'hui avec le premier cinquantenaire de mariage depuis qu'Amoy est dans la famille, le centenaire de sa chapelle. Amoy et sa chapelle, c'est un tout. et quand nous pensons à la chapelle nous nous souvenons des morts qui reposent sous son autel et que ma génération a tous connus à l'exception de l'arrière grand-père d'Amoy, et qui ont été un si bel exemple pour notre enfance et la votre, mes chers chers enfants, depuis le grand-père d'Amoy (grand-père en haut comme nous l'appelions dans notre petite enfance), jusqu'à la tante Thérèse, la bonne "Aunty".

Souvenons nous aussi de ceux qui ne reposent pas ici : votre oncle Louis qui a donné sa vie pour la France, votre frère jacques, prêtre que Dieu a trouvé digne malgré sa jeunesse, et de tous les autres...

Tous ces morts, est ce que, de temps en temps, nous ne les entendons pas encore nous parler ? Ne les voyons nous pas vaquer à leurs occupations quotidiennes ? Et puis, tout à coup, pour chacun d'eux, il ne reste qu'un souvenir de deuil et de tristesse.

Souvenirs heureux aussi, ce sont dans mon enfance ces vacances à Amoy, entourées d'affection au milieu de parents tendrement aimés, d'oncles et de tantes, cousins, cousines, un peu comme aujourd'hui pour vous.

C'est par exemple l'érection de la croix du Tertre. Partie de la chapelle, portée par huit jeunes gens de Vouzon, suivie en cortège par la famille et l'élite de la paroisse, cette croix est scellée dans son socle aux armes de la famille de Saint Pol : Absit Gloriari Nisi In Cruce "Il n'est de gloire que dans la croix" et bénie par notre oncle le chanoine de Saint Pol en présence de ma mère vénérée.

C'est peu après, en 1897, le jour inoubliable où nos parents fêtaient le 25éme anniversaire de leur mariage, au milieu d'une grande partie de la famille et de nombreux voisins et amis, dans une journée de joie et de gaîté préparée jusqu'au plus minutieux détail par un père se sachant pourtant frappé à mort.

Ce sont aussi ces joyeuses journées de chasse entre frères et beaux-frères, souvent avec oncles, cousins, amis... ces pèches d'étangs avec leurs joyeux pique-niques, ces promenades en barque à Chicandin... et combien d'autres souvenirs.

Et depuis 1903 ce fut bien vite l'éducation des enfants avec ses soucis quotidiens, les joies des réussites aux examens, puis c'est votre établissement à chacun unis dans des familles chrétiennes comme les notre.

Deux guerres ont apporté leurs complications dans l'oeuvre familiale. Entre les deux la disparition prématurée de deux mères de familles, la première après une vie attristée trop tôt par le départ prématuré du chef avec la lourde tâche de quatre enfants encore jeunes, l'autre victime volontaire de son dévouement inlassable aux soldats de 1914-18.

Pouvons nous oublier les angoisses de 1940 avec nos deux fils et notre gendre aux armées dans des circonstances si pénibles pour chacun d'eux, et puis, la destruction du foyer familial. Mais vous savez tout cela.

Voilà le passé..

Mais je vous ai parlé, en commençant, de conseils. Je vais vous en donner un, un seul, mais qui en résume beaucoup : Restez unis et confiants entre vous, partout et toujours !

Oui, depuis qu'Amoy existe, la paix et l'union complète ont régné dans cette demeure et c'est ce qui fait qu'Amoy a évoqué et évoque toujours pour la famille, même éloignée, une oasis de bonheur et de bon accueil. Vous tous, et vous mes petits enfants surtout, qui ne regardez guère en arrière, mais plutôt vers un avenir que vous voyez aisément facile (et je m'en vaudrais de trop dissiper vos illusions), sachez que cette atmosphère de bonheur et de paix vient entièrement de ce que les six générations qui se sont succédées ici (et ceci est valable pour la septième, présente aujourd'hui parmi nous) ont toujours vécu dans des sentiments profonds chrétiens ?

C'est là le critérium de la paix et du bonheur. Que ces exemples vous soient profitables et suivez ce conseil partout et toujours.

Et maintenant que je me suis laissé aller à ce petit bavardage, je m'aperçois que j'ai oublié une partie de mon sujet. Car enfin, de qui s'agit-il surtout, aujourd'hui dans ces noces d'or ? Vous me comprenez, oui, autant qu'à moi, et bien plus encore, c'est à votre mère que vous devez mes chers enfants d'être ce que vous êtes et voulez rester toujours.

Jamais vous ne saurez assez l'aimer, et aussi lui venir en aide, car jamais vous ne saurez tout ce qu'elle a fait et souffert pour vous, pour assurer votre santé sans doute mais aussi, sans relâche et encore aujourd'hui pour vous élever moralement, former vos âmes et vous aider à former celles de vos enfants. le plus beau présent que vous puissiez lui faire, celui dont elle vous sera le plus reconnaissante, c'est de la seconder encore longtemps et de la remplacer plus tard dans cette tâche magnifique.

A vous, mes chers petits-fils, je vous souhaite de trouver plus tard une compagne aussi animée du sentiment du devoir et d'un dévouement sans limites. et vous, mes chères petites filles, suivez les exemples que vous donne avec ses conseils votre bonne-maman et qu'elle vous donnera jusqu'à son dernier jour.

J'ai fini. Que cette si belle fête de famille reste dans la mémoire de chacun comme un souvenir joyeux, mais fructueux aussi, et que vous aimerez évoquer plus tard, à votre tour, pour vos enfants et petits enfants.

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